Dans un boyau désaffecté...[Yakushi Kabuto]

Kabuto contemplait son échiquier s'agiter. Alors qu'il regardait un bataillon essayant de tenir tête à un duo gagnant, l'homme à la chevelure grisonnante se mit à bailler. Il était passionnant de devoir contrôler plusieurs esprits dans un même lapse de temps mais cela devenait parfois rébarbatif. Quand le doute vous demande si ce que vous faites a véritablement de l'importance, et bien dans cette situation, on hésite. Après tout ces edos avaient suffisamment d'esprit pour pouvoir se débrouiller seul; d'autant plus que ceux qui les affrontaient étaient d'une condition si commune... Cheveux bruns et courts tous habillés de la même manière. Ils auraient eu les cheveux verts ou rose et une gueule de schizophrène à la Zetsu ça aurait été un brin plus amusant. Ce train de vie commençait à l'indifférer et tandis que sa pensée s'exaspérait un pion se rapprochait du repaire. L'encapuchonné leva son regard et eut comme un air joyeux ou plutôt réjoui. Il semblait avoir échappé de justesse au marteau de l'ennui.

Tournoyant sur lui-même afin de se diriger vers un couloir éclairé par quelques flambeaux, il marchait avec cette lascivité serpentine. Sa longue cape dessinait de nombreux plis dans lesquels se glissaient sans doute quelques reptiles en tous genres. Son compagnon blanc lui susurrait quelques syllabes indicibles. Cela dût être une plaisanterie car un sourire apparut progressivement sur les lèvres blanches de l'ancien disciple d'Orochimaru. Les temps changeaient, ces longs corridors offraient autrefois sur de magnifiques cellules contenant les plus étranges phénomènes shinobis. Désormais, elles étaient aussi vides et silencieuses que les regards des quelques cadavres étendus ici et là. *Kukuku, je vais faire une plaisanterie à Sasori-Sama.* Se disait-il en laissant siffler entre ses dents, un rire étouffé.

Alors qu'il descendait quelques étages par les escaliers en colimaçon du repaire, Kabuto s'aperçut que ce quartier avait l'air plus animé. Il se rendait compte que s'être enfermé dans cette pièce et concentré sur des batailles ayant lieu à plusieurs milliers de kilomètres l'avaient empêché d'assimiler les nouveaux arrivants. Pourtant ce fut avec déception qu'il comprit qu'il se faisait de faux espoirs. Qui avait donc pu ranger tout l'étage? Qui avait installé de nouvelles torches avec tant de soins. Sasori venait à peine d'arriver c'était impossible. Le Casque attendait de découvrir le mystère donnant l'impression qu'une fée du logis hantait avec zèle les lieux. Mais d'abord, son invité.

Ils marchaient à pas feutrés, rien ne semblait compromettre sa mise en scène quand soudain, il entendit la voix, venant de la cellule aménagée en laboratoire, la voix si reconnaissable de Sasori. Il avança alors et agrandit l'entrebâillement de la porte. Il aurait adoré connaître l'effet de ce spectacle macabre. Kabuto venait de réanimer un cadavre afin de le faire marcher jusqu'à son nouvel ami. Le corps mort était sectionné de toutes parts et il lui manquait un bras. Sa tête pendait sur la gauche et sa bouche grande ouverte laissait une langue apparaître de toute sa longueur. *Kukuku.* Ce même rire étouffé lui échappa. Il fit à son tour son entrée et laissa le cadavre s'écrasait de toute sa masse sur le sol, bousculant sensiblement une chaise vers laquelle le jeune homme aux cheveux gris se dirigeait. Il reprit cette voix froide, amusée et mielleuse qui le caractérisait tant.

Vous avez vu les progrès de la médecine maître Sasori? Si je n'en étais pas l'auteur, cette scène m'aurait probablement rempli d'horreur. [Le ton qu'il avait pris en prononçant ce propos n'aurait convaincu personne.] Pour être honnête je ne vous attendais pas. Je suis même fortement surpris de ces beaux aménagements que vous avez entrepris sans même que je m'en rende compte. C'est impressionnant. [Pendant qu'il parlait, il examinait la salle avec attention.] Je suppose que vous faire payer l'usage de ce matériel serait disgracieux de ma part. J'espère cependant que vous ne casserez rien, dit-il avec lascitude.

Il se levait de la chaise et tendit la main vers un flacon dont le liquide l'intriguait. Kabuto lança un regard inquisiteur aussi bien à son hôte qu'à lui-même. Etait-ce ce qu'il pensait?

Le monde est rempli d'endroits qui nous effraient, de choses que l'on ne saurait affronter. Kabuto jubilait de voir que Sasori-Sama n'était pas resté insensible à son petit spectacle. Il semblerait même que l'invocateur des Edos ait trouvé la bête noire, le mauvais rêve de la marionnette en farandole. Il le garderait dans un coin de son esprit. En revanche quel fut l'étonnement qui revêtit le visage du serpent blanc quand d'importantes flammes sortirent de l'entrebâillement de la porte. D'où pouvaient-elles venir? Ce pantin était aussi imprévisible que la fidélité d'un serpent sauvage. Quand il ouvrit pour comprendre, le cadavre qu'il s'était amusé à réanimer n'était plus qu'un souvenir cendré... Tandis que canons à la main, son spectateur aux cheveux roux retournait à la tâche à laquelle il s'était adonné comme si rien ne s'était passé. Ce bureau était véritablement bien rangé.

Quand il se saisit de la fiole qui l'avait tant intriguée il entendit cet aboiement mécanique le prévenir de la dangerosité de la concoction. Que cela ne tienne, si seulement il se doutait du quart de ses terribles ressources. De quoi faire frémir la plus solide des planches de bois. Mais alors qu'il partait se retirer voyant qu'il n'y avait rien à en tirer de plus, le petit chérubin sauta au cou de Kabuto. *Quel jeune homme osé!* se disait-il. Serait-ce les fameux sauts d'humeur qui donnait à Sasori sa réputation? Quand il vit le chalumeau aux flammes indigo prendre la direction de son regard vitreux, Kabuto exécuta une série de mudras. Calmé et immobile, c'est qu'il devait apprendre le respect des aînés cet enfant! Ce n'était pas un cucurbitacee de son espèce qui allait mettre à mal la radieuse et divine tête pensante.

Il contemplait son nouvel ami de pied. Il allait très certainement bientôt ressentir la grande et triste impuissance des Edo Tensei, sans doute le fameux revers de médaille au potentiel infini que Kabuto daignait accorder à ces défunts. Il écoutait ce bambin débiner toutes les railleries qu'il connaissait. Il ne fallait pourtant pas croire que l'homme aux cheveux gris fut insensible à tout cela, parfois un commencement de larme venait donner à son regard un nouveau rayon de lumière. Evidemment, tous les moyens étaient mis en oeuvre pour dissimuler pareille honte, on ne pleurait pas quand on avait un rôle comme le sien. On vit, on assume, on meurt.


Ces mots résonnaient dans l'esprit du sage des dragons. Pas que la menace l'effrayait, mais il pensait au fait que Sasori, implicitement le considérait comme un simple épigone. M'enfin il en avait vu des plus vertes que ça. La fin de l'assertion lui procurait en revanche un malin plaisir, le Scorpion des Sables Rouges venait de sous-entendre haut et fort que cette guerre serait longue. Que le règne de Kabuto serait long et qu'aucun endroit sur terre ne le séparerait de son bel ami. Bon, chacun entend ce qu'il entend mais visiblement ces journées enfermé dans la salle de l'échiquier à jouer les fakirs ne lui réussissaient pas vraiment. Aussi allait-il prendre l'initiative de se rafraîchir à l'air libre. Il reprit ses esprits et son plus grand sérieux, toutes niaiseries s'étaient effacées de son sourire de gargouille.


Son obséquiosité n'avait d'égal que son ego, et comme si ses paroles avaient été une prophétie. Sasori fut animé de mouvements d'âme [Si du moins il en avait une] similaires à ceux de son invocateur. Aussi, si la volonté de l'Edo Tensei était clairement de rester dans son atelier, Kabuto relâcherait son emprise. Il n'aimait pas trop forcer la main, juste tirer un peu par le bras, comme une invitation. Influencer son entourage est quelque chose de bien plus prolifique que de les forcer. Dans un cas ils se sentent accomplis et dans l'autre parfaitement oppressés. D'une certaine manière il espérait mener ses Edos à une voie qui leur permettrait, un jour, de trouver un objectif dans cette guerre. Un objectif aussi sanguinolent que ses projets pour l'avenir.

Un petit escadron de shinobis vinrent rejoindre la marche. Ils étaient calmes, ils étaient d'une sérénité troublante. Ces visages familiers décidaient d'escorter la silhouette encapuchonnée, si ce décor sauvage avait été une ville, les ignorants l'auraient pris pour un daimyo en déplacement. Le premier, ouvrant la marche, avaient une chevelure similaire à celle de Kabuto, peut-être était-elle un peu plus lisse et soignée mais la couleur était intrinsèquement la même. Il était grand, il paraissait bossu, une sorte d'excroissance s'élevait dans son cou mais dissimulée sous son attirail, elle passait relativement inaperçue. Ces cinq gardes du corps possédaient tous la même ceinture violette, nouée avec une particularité qui rendait la chose facilement reconnaissable. Le deuxième, à sa gauche, était un peu plus fort et robuste que les autres, sa masse se déplaçait lourdement et pourtant avec une relative aisance alors que ce beau monde évoluait dans un terrain accidenté. Le troisième à sa droite, plus petit, le regard bien plus fuyant et alerte, de longs cheveux bruns ébouriffés mais attachés, avait bien plus de mal à appréhender les nombreux obstacles à éviter. Il y avait dans cette maladresse quelque chose qui relevait de la façade, comme si ce caractère n'était qu'un leurre pour tromper le jugement de l'ennemi. Derrière lui, toujours dans cette escouade formant un carré dont Kabuto était le centre tandis que le premier garde incarnait le gouvernail, un peu à sa gauche, la seule kunoichi. Une jeune femme dont les traits n'étaient ni ingrats, ni particulièrement fins. Sa silhouette, bien qu'aux allures fragiles, reflétait probablement un style de combat plus stratégique que sportif. Ses longs cheveux rouges donnait à son regard d'onyx, un contraste particulièrement chaleureux. Le dernier guerrier, couvrant ses arrières droit, avait un regard dont le poids aurait accablé n'importe quel nouveau-né, d'une terrible culpabilité. Ses cheveux, d'un blanc maladif, avaient été vaguement coiffé afin de créer deux nattes pendantes le long du haut de son buste, tandis que la troisième plus volumineuse était soigneusement attachée en catogan. Deux petites marques rondes et écarlates ornaient son front avec douleur rendant le vert de ses yeux d'une profondeur toujours aussi saisissante. Son visage, nettoyé de toutes les usures du temps, d'une jeunesse incomparable, était aussi inexpressif que pouvait l'être un objet de grande valeur. Son attirail grisâtre rendait sa beauté plus immaculée, plus tristement indéniable. Cela tombait sous le sens que depuis sa naissance, ce jeune homme, cet enfant, avait été mis au monde pour en ressortir le premier. La lumière parfois réussissait à percer la verdure, son regard n'en était que plus rempli de l'espoir de mourir.

Alors que la nature s'ouvrait sur un paysage de plaines, les espaces séparant Kabuto de ses acolytes se resserraient, cela devenait frustrant, en fait très menaçant. Une tension se créait dans cette parade et le Nécromancien la ressentait avec beaucoup de discernement. Le shinobi à ses arrières droit ouvrit les hostilités, un coup latéral droit asséné avec un os sortit subitement de sa paume. Puis ce fut au tour de celui qui ouvrait le cortège, alors qu'il était clairement en train de continuer la marche, allant de l'avant, il y eut dans son dos des mouvements qui finirent par aboutir à l'entrée d'un nouveau compagnon identique à son hôte. Comme des frères siamois, le nouvel arrivant tenta de se décoller avec succès, et tirait, d'une force insoupçonnée pour la silhouette, un violent coup de poing. La tête pensante, qui autrefois aurait pu se sentir en sécurité si bien escortée, sortit les armes et esquiva du mieux qu'il put ses opposants. Quant au petit homme brun, quelques bras supplémentaires s'ajoutèrent à ses deux précédents et filèrent une boule de chakra avec une rare et fulgurante vitesse. Son agilité lui permit d'aussitôt l'envoyer vers Kabuto qui, pris au dépourvu, se fit attraper par cette boule de chakra devenue un filet des plus résistants. L'énorme Atlas souleva le sol comme s'il s'agissait d'un simple plateau et envoya l'immense monticule de terre vers l'homme aux lunettes, incapable du moindre mouvement. Son corps fut écrasé. Les cinq shinobis du son examinèrent la chose et découvrirent une mue de serpent tandis que se dressait derrière eux un dragon blanc dont le visage s'était recouvert de l'étoffe du sadisme. Alors qu'il fonçait sur ce petit groupe de mutins; la jeune femme se saisit d'un instrument ressemblant à une flute et se mit à jouer. Le son qui s'en échappait rendu ce monde immobile, perdu.

Kabuto était dans la forêt. Il était pris d'un frisson qui lui redressa les écailles. La bise s'infiltrait dans les manches de son manteau, il eut comme une impression de froid. Ce n'était pas la première fois qu'il avait ces rêves éveillés, son âme avait scellé beaucoup de personnes et cela avait un poids. Son ami mécanique lui parlait, il aurait même pu le considérer loquace si ce ton froid n'incitait en rien à la conversation. Sasori aurait un fond rempli de bonne curiosité? Un chercheur avide de sens? Le jeune homme encapuchonné interrompit la scène, il frappa des mains dans un geste de maîtresse d'école rassemblant ses élèves autour d'elle.

Très bien Sasori-Kun, je vois que vous sollicitez mes qualités d'éducateur et comme j'aime parfois prendre ce rôle il est l'heure pour vous d'apprendre!

Cette fois-ci son ton amusé, ses gloussements étouffés avaient quelque chose de sincère. Il entama de longues explications, commençant sur l'historique de la technique, cela semblait déjà plus ou moins familier à son interlocuteur. Puis sur les recherches qu'avaient commencés Orochimaru sur la technique, la collection que tous deux commencèrent sur les cellules d'Hashirama, l'épisode de profanation des tombes... Evidemment il dut raconter comment il s'était débrouillé pour récupérer Deidara. Il racontait cette anecdote avec une petite fierté qui se lisait dans son sourire de vétéran. Puis il se demanda si Sasori était au courant des événements, se doutait-il seulement du sort que s'était infligé le jeune artiste aux cheveux d'or? Tant d'histoires qu'il racontait, il en devenait volubile. Le temps passait mais rien ne le montrait, si ce n'est la lumière qui commençait son ascension colorée par les mille et une étapes du crépuscule. La conversation s'était surtout vue prendre la forme d'un monologue, le Scorption des Sables Rouges aurait très bien pu s'endormir que Kabuto n'en aurait pas pris conscience. Evidemment il s'était avisé de dissimuler l'essentiel. Une carte est une carte. Elle avait un recto, elle avait un verso, et le plus important était de garder l'information. Le monde des stratèges n'était qu'un vague jeu de masques, c'était celui qui en savait le plus qui finissait par gagner. Le marionnettiste le savait pertinemment, après tout ses pièges reposaient sur le fait que l'on ne connaissait pas leurs mécanismes, à partir du moment où l'on connait le fonctionnement d'un piège, ce n'est plus un piège. Le Casque s'était pressé de dévoiler un couloir, d'en ouvrir la majorité des portes, pour que celles verrouillées passent inaperçues. Voire même que son ami entre dans le couloir pour ne pas voir qu'il y en avait un autre. La subtilité de dévoiler Hashirama pour oublier Madara. La finesse de dévoiler comment créer un Edo Tensei sans savoir comment l'arrêter. Telle fut cette conversation dont les multiples niveaux sont restés éclairés par moment et sombres souvent.