Mission Rang C : Intoxication [Kyoku Yamaneko - Akamatsu Murakami]

Quand bon nombre de ses collègues shinobis se lésaient du manque d'activité et de missions dans l'oubli de l'obscurité, quand les autres ne pensaient avoir pour seule préoccupation le perpétuel entrainement ou le repos du combattant, Kyoku, du haut de ses dix-huit jeunes années et de son caractère candide parfois un peu trop présent, s'évertuait en ces temps troubles à soigner l'entretien de son arme la plus redoutable. Son esprit. Elle l'assénait de mille et une questions, questions qui trouvaient difficilement réponses et qui la contraignaient à faire fonctionner chaque cellule de sa mémoire. La kunoichi réétudiait tous les principes fondamentaux du shinobi de mémoire, pour s'assurer qu'elle les connaisse encore, qu'ils ne la perdraient pas. Elle se questionnait au hasard, sur les points forts et points faibles d'Iwa, son village, quoi que racontent ses profondes origines. Dans sa tête, tout ne paraissait que parfait désordre, les pensées et les suppositions se raturaient aussi vite qu'elles apparaissaient. Une véritable guerre intérieure contre l'ignorance.

Pourtant, tout autour de son corps immobile, tout n'était que silence. Cérémonieux. Prompte à la méditation, comme oublié du monde, de l'agitation quotidienne. Les effusions bruyantes n'émanaient que de son subconscient et demeuraient prisonniers de sa boîte crânienne, aussi épaisse que l'os qui était censé la constituer. Rien ne pouvait en sortir, pas même une bonne idée quand la situation devrait l'y encourager. Et pour cause, la chuunin s'était donné beaucoup de mal pour rendre cette couche osseuse complètement imperméable. Si seulement elle avait su à l'époque ô combien sa manie de tout vouloir conserver en elle l'handicaperait à une époque prochaine…

"Qu'est-ce que tu fabriques ?"

En grand, ses yeux s'ouvrirent, tandis que la surprise secoua ses cordes vocales pour émettre ce cri souriesque qui accompagna sa chute irrémédiable aux pieds de son interlocuteur. Un shinobi aux aguets n'aurait jamais eu ce genre d'inconvénient et ne viendrait jamais à se plaindre d'une douleur au bras à cause d'une mauvaise réception sur le plancher, et Kyoku constata de ce fait avec horreur que rester allonger plus d'une heure en position étoile de mer n'aidait pas à la perception des sons. Il fallait qu'elle trouve une autre position, ou encore une autre méthode d'entrainement pour sa mémoire. A voir. Pour le moment, elle avait d'autres préoccupations sur les bras.

En effet, voilà que l'un des jeunes shinobis qu'elle avait croisés aux salles d'entrainements l'avertissait que son nom figurait sur le "tableau des charges", pour reprendre ses mots exacts. Il ne s'agissait que du panneau des missions, en vérité. Un panneau devant lequel la kunoichi ne prenait plus la peine de passer depuis son petit accrochage, son état ne lui ayant plus permis pendant un moment d'accomplir des missions sans qu'elle n'ait à se plaindre de ses brûlures. Néanmoins, l'Iwajin avait doucement repris les missions - un peu plus brutalement si l'on considérait le point de vue de certains - et les entrainements ne manquaient plus à son quotidien, bien que pour la majorité ils soient peu concluants. Elle se sentait mentalement et physiquement prête à reprendre son rôle de chuunin comme il se devait, à travers cette mission de rang C, entre autres, dont elle lut avec attention l'énoncé, une fois avoir questionné le jeune genin sur les raisons de sa venue; à toute évidence, la jeune fille avait de nouveau maltraité son pauvre chat qui était parti se réfugier au "sanctuaire des tatamis", où le garçon l'avait retrouvé terrorisé. Il crut bien faire en le lui ramenant, et bien qu'il en fut remercié, le matou finit malgré tout par filer par la fenêtre une fois qu'il fut parti. A croire que la kunoichi l'effrayait réellement, mais elle ne s'en formalisa pas un instant. Après tout, l'animal reviendrait vers elle dès qu'il ne trouverait plus de quoi contenter son estomac.

Après avoir pris connaissance de la mission, elle prit connaissance des deux noms qui accompagnaient le sien. Ceux d'Akamatsu et de Barai. Kyoku resta un moment les yeux fixés sur ces deux noms, la mine neutre, les mains derrière le dos. Les missions en compagnie du genin aux cheveux violets devenaient routines, sans le savoir, s'enchainaient sans qu'elle ne le réalise directement, jusqu'à qu'elle remarque son nom sur cette feuille, à vrai dire. Pourtant, il ne remontait pas à loin le temps où il n'était encore qu'un parfait inconnu pour elle, un jeune homme d'à peu près son âge, qu'elle ne croisait pas, avec lequel elle ne discutait pas, dont le coup d'œil ne possédait aucune importance. La transition parfait inconnu à équipier s'était effectuée sans prévenir et à une vitesse aussi surprenante que celle de la lumière.

Qu'en était-il de Barai… Kyoku le connaissait déjà depuis près de deux ans… le temps courait et elle trainait derrière, nostalgique du temps où encore elle avait le droit à l'erreur et à la bêtise. Depuis qu'elle avait rencontré ce garçon, nul doute que sa perception des choses en avait été bouleversée ! L'adolescente avait en effet réalisé l'existence de son caractère ferme, obstiné et, pourrait-on dire, mature. Elle ne s'était jamais sentie aussi importante et responsable qu'en sa compagnie, elle se sentait particulièrement concernée par son évolution, son apprentissage et son bien-être au sein du village. Telle une mère pour son enfant. Telle que la kunoichi s'en effrayait à tout moment. Leur relation la détruisait intimement, en silence, sans douleur, par pincées, en douceur. Un jour, elle l'anéantirait d'une explosion violente, ou pire encore ! Peut-être la désintègrerait-elle à petits feux, par petites effusions de flammes, lui brûlant les entrailles. Une vérité à laquelle la chuunin ne s'accommodait pas, bien que consciente de son existence et de la personnalité de l'élève qu'elle avait appris à connaitre. L'illusionniste le savait instable, le savait animé de motivations qu'elle ne pouvait pas comprendre, au dépit de ses nombreux efforts pour le cerner, elle n'y pouvait rien. Alors oui, un jour leur relation la ferait souffrir, que ce soit à cause des choix du jeune homme qu'il était devenu, ou encore à cause de cette mort qu'elle redoutait tant et qui continuait de planer au-dessus de leurs corps innocents.

La chuunin constata que ce fut sa première mission en compagnie de son élève et un sourire inconscient s'invita sur la surface lisse et impassible de son visage. Au fond d'elle, s'impatientait le maitre de l'élève, curieux de prendre connaissance des réels progrès du genin qui était revenu de loin. Ce fut à cette idée idiote que la kunoichi s'abandonna. Ce fut cette pensée simple qui la tira jusqu'à son logis, la fit oublier de fermer la porte, qui se dissipa et lui rappela aussitôt le froid qui régnait dehors. Elle claqua la porte, les joues rouges, une main sur la gauche pour s'assurer de cette chaleur qui y brûlait. Un véritable incendie. Elle expira lourdement, s'étira, scruta les environs, vraisemblablement la chaudière ne finissait d'agoniser et Doku n'avait pas eu envie d'assister à son dernier souffle. Le chat avait fui, il ne restait plus qu'elle en ces lieux et la question du pourquoi ne se posait même plus.

Se devant de montrer l'exemple, ne serait-ce que pour son grade, Kyoku se convainquit d'arriver la première sur le lieu de rendez-vous, à proximité du lieu d'appel habituel. Ses affaires l'attendaient sagement dans un coin depuis sa dernière mission, et celle-ci remontait à loin ! Les quelques kunais qui composaient son arsenal retrouvèrent sans autre moment d'attente leur emplacement d'antan, à hauteur de ses hanches, tandis que son bandeau frontal reposait là tout le monde pouvait le voir et plus personne ne le voyait : autour de son cou. La jeune fille le portait en permanence, avait du mal à s'en séparer, bien qu'elle n'y ait jamais apporté une attache particulière. Elle le mettait presque par automatisme, le matin quand elle partait en ville, plus rarement quand elle escomptait attaquer un nouvel entrainement, de peur visiblement de l'abîmer. Une attitude que la kunoichi ne s'expliquait pas et que personne ne pourrait comprendre, car dans le fond tous les bons shinobis l'imitaient. Une manie qui transmettait d'âge en âge, aussi étrange cela pouvait-il paraitre.

Il ne lui fallut pas plus que ces quelques affaires pour ouvrir la porte et quitter la demeure sans grande inquiétude. L'illusionniste préparait ce jour depuis belle lurette et elle ne s'y était pas pris la veille pour tout mettre en place. La chuunin réfléchissait déjà à un prochain plan de mission, très investie de nature dans son travail, même un peu trop.

Comme elle l'eut planifié un peu plus tôt, elle s'avéra première arrivée et c'était tant mieux. Etant généralement en retard à tous ses rendez-vous, à faute de montre ou d'une notion très pointue du temps, l'Iwajin ne pouvait que se sentir fière d'arriver première. Toutefois, pur instinct le voulant, la kunoichi inspecta en différentes œillades les alentours. Elle ne souhaitait pas non plus rester très longtemps seule à cet endroit, sous la coupe du soleil du début d'après-midi. Il s'annonçait une journée particulièrement agréable pour la saison.

Heureusement pour sa soudaine et inexplicable phobie de la solitude, Akamatsu ne tarda pas à la rejoindre et un élan d'énergie éveilla son corps encore un peu engourdi par la flemme quotidienne à laquelle tout adolescent était confronté à un moment donné de sa vie. D'un signe de main amical, elle l'accueillit, ravie en tout point de vue de son arrivée.

"Hey, Akamatsu ! En forme pour une nouvelle mission ?"

Décidément non, Kyoku ne comprenait pas comment elle en était venue à l'aborder aussi facilement. Elle ne faisait pas preuve d'un caractère aussi avenant envers autrui habituellement, continuellement sur ses gardes, prisonnière en quelque sorte d'une timidité invisible et dont la forme se révélait orpheline. Agrandir son cercle d'amis ou de connaissances ne faisait pas partie de ses priorités, tout au contraire. Seulement, la vie en avait décidé autrement et l'adolescente n'avait pas son mot à dire.

Barai ne fut pas long à les rejoindre à son tour. Son allure collait plutôt bien à sa personnalité, sans complexe ni préoccupation apparente, juste de la parfaite léthargie envers tout et pour tout. Néanmoins, au premier coup d'œil, Kyoku sut que quelque chose n'allait pas. Sans pouvoir dire quoi, elle accusa aussitôt intérieurement le jeune homme de tous les tords, elle ne parvenait à s'en empêcher, tout n'était qu'impulsion lorsqu'une telle sensation l'éprenait. Toutefois, si le doute procurait quelques migraines à la kunoichi, celle-ci se tut, garda bouche cousue, l'effaça intégralement de sa face. Parce qu'elle savait d'avance qu'il ne lui dirait rien et qu'elle ne voulait pas lui donner l'impression de constamment être sur son dos.

Le plus simplement du monde, le nouveau venu les salua, elle et Akamatsu. Kyoku percevait un peu d'hésitation à l'égard de leur équipier, mais elle ne s'inquiétait pas à ce propos. Elle avait eu vent de leur dernière tâche en équipe, bien qu'elle n'ait eu le droit d'en connaitre les détails, et apparemment il n'y eut aucun dommage contrairement à ce qu'elle s'était imaginé au souvenir du léger accrochage à leur première rencontre. La kunoichi espérait vraiment que la bonne entente se poursuivrait, elle y tenait, ne cesse que pour le bon déroulement des missions qu'ils accompliraient éventuellement ensemble. Barai possédait néanmoins encore quelques réticences envers les shinobis et sa sensei saurait donc, sous ces conditions, se montrer indulgente.

De suite, et brièvement, son élève exposa l'aspect pertinent de leur mission. Attaquer le village en son sein, sans attaque proprement dite, comme la concevrait tout shinobi qui se respectait, là se trouvait le caractère malin des responsables de cette intoxication alimentaire. Si l'Iwajin n'avait pas eu mauvaise conscience pour eux, elle leur aurait volontiers tiré son chapeau, si encore elle en avait possédé un, malheureusement elle détenait une conscience et celle-ci lui conseillait de garder ses compliments pour elle et elle-seule, au risque de paraitre complètement à côté de la plaque. De ce fait, la chuunin se contenta de saluer la remarque du shinobi au regard bicolore, et ce d'un acquiescement de la tête et d'une voix évocateurs de son approbation évidente :

"Discret mais efficace. Malin. Tout ce qui constitue un parfait adversaire d'après moi. Car celui qui sait prendre d'assaut un village de l'intérieur, est plus malin encore que celui qui détient toute la puissance humaine et qui s'en sert pour détruire les murs qui le ceignent."

Paroles sur lesquelles Kyoku, elle-même, méditait encore, ne se comprenant pas elle-même à certains moments, changeant constamment d'avis sur telle ou telle question. Elle se révélait fort indécise dans certaines situations.

La kunoichi continuait de battre la tête de haut en bas quand Barai releva le degré supérieur de son grade sur le leur. Effectivement, l'illusionniste était la seule de ce trio à avoir obtenu son grade de chuunin et il était naturel, de ce fait, que la direction de cette mission lui revienne. Cela allait dans l'ordre des choses. Cependant, à cette constatation, Kyoku demeura stoïque un instant, sa tête avait cessé d'acquiescer de son propre chef.

"Heu… oui, tu as sans doute raison, Barai." balbutia-t-elle devant l'air ravi du concerné, avant d'aspirer une dose considérable d'oxygène et remettre en ordre ses idées. "Je pense que nous devrions suivre le parcours entier de cette fameuse soupe, prendre connaissance des mains qui l'ont transportée, autant celles des livreurs que celles de ceux qui l'ont confectionnée. La réponse se trouve obligatoirement à travers toutes ces personnes, nous devons donc absolument savoir l'identité de ceux qui ont pu s'approcher de la nourriture avant que celle-ci soit distribuée."

Leur fallait-il dans ce cas tout reprendre à zéro et c'était bien cette nouvelle qui lui faisait peur. Kyoku ne concevait tout simplement pas la réaction des livreurs face à un nouvel interrogatoire, aussi bref soit-il.

"Demandons à ceux qui l'ont livrée d'où ils l'ont emmenée et si des personnes auraient pu être en contact avec avant ou pendant le transport. De cette manière, nous aurons toujours une piste à suivre et nous finirons, tôt ou tard, par tomber sur nos coupables."

Kyoku opina du chef à sa propre réflexion, ses bras croisés, un air décidé étalé sur son visage, ses paupières demeuraient closes. Tout cela paraissait cohérent.

"Je pense que nous devrions rester ensemble dans un premier temps. Ensuite seulement, nous envisagerons une probable division selon le champ à inspecter, vous comprenez ?"

De son point de vue, tout paraissait clair, sans aucune zone d'ombre. Posée sur ses convictions, l'illusionniste décroisa alors les bras et son regard sourit à ses deux compagnons, débordant de conviction : ils seraient plus malins encore que leurs ennemis.

Il ne fallut pas longtemps au trio pour être orienté sur une piste qui, Kyoku l'espérait, les mènerait quelque part, et non à un morceau de viande pas frais et donc à un vulgaire cul-de-sac. Leurs sources affirmaient effectivement que toutes les personnes sujettes à l'intoxication alimentaire auraient consommé une soupe qui aurait été apprêtée d'un même fournisseur. Alors si jamais les maux de ventre de cette personne dont leur parlait Akamatsu n'étaient dû qu'à un aliment pas frais, viande comme garniture, alors ils pourraient tout reprendre depuis le début et interroger tous les petits comme grands restaurants de la ville. Entre autres, ils ne seraient pas vite tirés de cette épidémie.

La kunoichi n'avait répondu à la question de Barai, prise de court par le papier qu'Akamatsu passa pour qu'ils prennent connaissance du nom du restaurant et aussi par l'avancée soudaine de leurs recherches, si jamais celles-ci s'avéraient fructueuses. Toutefois, la véritable raison de son silence s'avérait beaucoup moins évidente et beaucoup plus secrète, car elle-même ne parvenait à la déceler correctement. Elle connaissait parfaitement les réponses à ses questions, pourrait répondre le plus simplement du monde d'un simple acquiescement de la tête. Mais elle ne le fit pas, mue dans son silence, les lèvres cousues, le regard considérablement moins victorieux d'un seul coup. La chuunin avait accordé une brève bride d'attention à son élève à sa question, quelques secondes seulement, avant de se reconcentrer sur leur mission. Ses doigts se serraient contre sa paume et son dos cherchait la sensation de brûlure qui l'avait handicapé tant de temps. Si extérieurement et intérieurement, l'adolescente se sentait revigorée et prête à poursuivre son Nindo, elle se sentirait menteuse en affirmant au jeune homme qu'elle allait mieux. Et bien qu'il lui ait assuré ne pas vouloir être rassuré, Kyoku, elle, voulait l'être envers sa propre personne et taire dans la réalité cette vérité qui lui dévorait constamment le ventre.

"Rendons-nous jusqu'à ce restaurant et allons questionner son gérant dans ce cas. Il saura probablement nous renseigner."

L'illusionniste n'eut cependant pas besoin d'achever sa phrase, car Barai prenait déjà le devant de la marche, engageant le pas à reculons. Pourquoi à reculons ? Kyoku se le demandait et ses interrogations s'exprimèrent sans doute dans ses pupilles qui se rétractèrent aussitôt, un air abêti esquissé sur sa face et qu'elle s'empressa de supprimer pour ne pas paraitre plus idiote qu'elle se pressentait l'être à l'intérieur de sa personne.

Pour aucun motif, la kunoichi ne rompit le silence qui s'était posé entre eux durant le trajet jusqu'au restaurant. Après tout, qu'avait-elle à leur apprendre ? Ou que désirait-elle apprendre de plus à leur sujet ? La chuunin n'avait non plus son commentaire à prononcer sur leur mission commune, autant sur la situation que sur le contexte. Les Renégats se multipliaient depuis le début de la guerre, les nations qui se devaient unies se divisaient de l'intérieur à cause d'individus comme leurs ennemis actuels, qui ne tendaient que vers le démantèlement propre et simple d'un village aussi solide que le leur, qui avait survécu aux attaques ennemies et qui n'avait jamais fait œuvre d'aucune guerre intérieure. Triste réalité, et aucune remédiation ne suffirait à arranger cette vérité qui semblait s'évaser depuis un siècle, cause de l'activité constante des shinobis de tout pays. Ils se multipliaient, et la guerre ne tuait pas souvent les bonnes personnes. Beaucoup de morts étaient encore à déplorer, et tous n'étaient pas des victimes de l'Akatsuki.

Ce que recherchaient les auteurs de cette intoxication, néanmoins, ils l'ignoraient. L'on pouvait encore se concevoir telle ou telle hypothèse, mais ne leur fallait-il déclarer aucune certitude, chaque être était différent d'un autre et il leur était impossible d'en deviner les pensées sous prétexte d'être expert en la matière. Tout expert pouvait être dépassé par ses connaissances et par la réalité qui courait encore plus vite. Cependant, quel qu'ait été l'objectif de ces brigands, l'illusionniste n'escomptait pas laisser leur plan aboutir et comptait surtout les arrêter avant que l'intégralité du village ne soit affecté par l'épidémie.

Dès leur arrivée dans le restaurant, la salle vide attira leurs regards et le malaise fut évident. Kyoku avait déjà déjeuné en ces lieux et elle n'avait jamais vu la salle désemplir avant une heure assez tardive de la journée. Alors assister à une telle désertion de clients la frappa aussi violemment qu'un maillet aussi lourd que du plomb, la kunoichi en demeura stoïque une demi-douzaine de secondes avant de réaliser que ses équipiers prenaient de l'avance sur elle et partaient interroger le gérant du lieu. Un homme de sa taille environ, donc plutôt petit pour son âge mûr.

La chuunin fut étonnée de constater le calme et le professionnalisme dont faisait preuve, à l'instant, son élève. Barai semblait avoir pris l'interrogatoire en mains durant son moment d'inattention et dans aucun cas la jeune fille ne se serait permise de l'interrompre. Il débordait d'assurance, ou en tout cas beaucoup plus qu'autrefois, et le réaliser lui fit clairement comprendre que oui, effectivement, il avait réellement changé. Il avait grandi. Il savait réfléchir, analyser, réagir. Il était devenu un véritable shinobi et jamais elle ne pourrait le blâmer pour cela, car Kyoku savait depuis quelque temps, bien que sans le savoir, que Barai ne cesserait de gagner en force et en audace, en qualités même. Un jour, sans aucune doute, il la surpasserait, parce que bien que plus jeune il détenait davantage de maturité qu'elle, et que de son grade de genin, il se montrait déjà plus convenant que certains juunins du village.

L'interrogatoire se déroula sans accro, Barai questionnait, le propriétaire répondait. Quelle que soit l'information en ressortant, Kyoku la notait dans un coin de son esprit, histoire de la ressortir en cas de besoin. Sa mémoire était en effet, et de loin, son alliée la plus fiable, lui permettant parfois de résoudre des cas complexes seulement en se rappelant un simple mot, une simple pensée qu'elle se serait conçue à tel ou tel moment. Une bête qualité, que s'avérait la mémoire. Aussi dangereuse que le maniement des armes, aussi risquée que de franchir une mer de lave sur un fil distendu. Elle pouvait archiver comme détruire. Enregistrer comme ignorer. Elle s'intégrait dans l'une des parties du corps les plus sensibles au manque d'oxygène. Une qualité qui avait fait ses preuves et qui se révélait aussi fragile que les plus précieux trésors du Daimyo. Une qualité qu'il fallait entretenir, ce pourquoi l'Iwajin l'entrainait régulièrement, pour ne pas en perdre l'influence et la capacité.

Une fois toutes les informations enregistrées, les noms des concurrents du grand restaurant intégrés, l'adolescente eut tout le loisir d'analyser ces derniers et vraisemblablement elle ne fut pas la seule, Barai entreprenait déjà de les rejoindre à un endroit précis qu'elle eut aussi deviné. Le nom d'un deuxième grand restaurant ressortait du lot de petites échoppes. Un restaurant à deux rues à peine de celui où ils se situaient, ils n'auraient donc aucun mal à s'y rendre en moins d'une dizaine de minutes. En se rendant sur les lieux, ils seraient informés sur la situation du restaurant et pourraient ainsi progresser dans leur tâche : s'il s'avérait en de bonnes situations, ils pourraient soupçonner un lien entre l'intoxication et l'enseigne; en revanche, s'il se trouvait aussi vide que la précédente salle, ils devraient trouver fournisseurs communs, ou autre piste qui pourrait relier les deux lieux de restauration.

Guidé par sa méfiance et son besoin de sûreté, Barai les quitta pour un court instant, le temps de se rendre à l'hôpital et de s'assurer de l'état de santé de la femme dont leur avait parlé le premier commerçant. Kyoku ne prit pas la peine de s'encombrer de plus de tracas, son élève savait ce qu'il faisait, et s'il souhaitait prendre des précautions, elle n'allait pas l'en empêcher : ils étaient trois après tout, il pouvait se permettre de s'absenter le temps qu'elle et Akamatsu se chargent d'interroger le second propriétaire.

Celui-ci tenait un commerce qui avait, tout comme le précédent, eu le temps de se forger une certaine réputation. Voir qu'une affaire aussi fructueuse se démantelait, et ce à cause d'un malotru n'ayant eu pour seule occupation nuire à la santé des Iwajins, la désarçonnait, la désossait à son tour, à l'exemple des nombreuses victimes de l'intoxication qui devaient à cette heure se tordre de douleurs. La kunoichi sentait véritablement une boule de malaise grossir en son creux, la dévorer de l'intérieur, se nourrir de sa chaire et elle dut se faire violence pour préserver contenance. L'effet de l'empathie, empathie qui naquit à la vision du visage blême et si plein d'espoir du gérant quand il les vit franchir le seuil de son établissement, que Kyoku fut rongée par le sentiment de gêne quand elle fut contrainte de lui apprendre la motivation de leur venue, qu'ils étaient là pour mener enquête.

A l'exemple du premier homme qu'ils avaient interrogé, le gérant n'avait aucune idée de ce qui aurait pu amener à un tel malheur dans son établissement. Les employés n'étaient pas nombreux, possédaient une certaine ancienneté et tenaient tous à peu près à leur emploi, et ce pour diverses raisons qui leur étaient personnelles. Autant dire de suite qu'ils tournaient en rond et le constater ne plaisait guère à la jeune fille qui mordait l'intérieur de sa joue tant ceci la complexait. Ses fins sourcils se fronçaient pour former des fissures sur sa peau lisse et claire.

S'ils continuaient à se baser sur des histoires de concurrence et de nuisance gastronomique, donc de travailler toujours sur les mêmes bases, sûr qu'ils ne progresseraient pas et poursuivraient leur ronde jusqu'à matérialiser une profonde tranchée dans les rues du village. Il leur fallait exploiter d'autres pistes. S'éloigner des tables de cuisine, de l'abolition intérieure d'Iwa, il ne fallait rien omettre quand il était question d'une telle enquête.

Kyoku releva néanmoins le nom du ou des fournisseurs du commerçant, jetant de rapides coups d'œil à Akamatsu afin de s'assurer que l'un des deux qu'il leur cita corresponde à celui du premier restaurateur qu'ils avaient visité. Vraisemblablement, ils se fournissaient chez deux personnes différentes, ce qui n'arrangeait en rien leurs affaires, puisque la source de l'intoxication provenait de la soupe qu'ils se faisaient respectivement livrer.

"Si tu veux mon avis, Akamatsu, toute cette histoire ne peut partir du souhait de vouloir intoxiquer le village en son intégralité. Il doit y avoir une autre raison à tout ce qui se passe en ce moment."

Ses propos prêtaient à confusion, la chuunin en avait conscience et elle-même plissait le front à cause de l'incertitude et de la complexité de son hypothèse encore floue. Si cette intention n'était pas la bonne, alors laquelle était-elle ? Kyoku leva le menton et scruta attentivement la salle, à la recherche du minuscule petit détail qui pourrait les mettre sur une piste quelconque, d'un minuscule point commun entre les deux restaurants qu'ils avaient visités. Et puis, ce minuscule petit détail, ce minuscule point commun lui apparut telle une évidence, tel le nez au milieu de la figure. Pourquoi chercher si loin alors que tout apparaissait si clairement devant soi ?

Ravie par sa nouvelle idée, la chuunin exécuta un rapide tour sur elle-même, de sorte à être face au commerçant dont elle captiva irrémédiablement le regard. Une impatience peu commune se lisait dans les traits de la jeune fille.

"Excusez-moi de vous questionner encore, mais n'auriez-vous pas licencier un employé récemment, ou encore refuser une candidature ?"

Bien qu'ils ne soient pas sur la piste d'une rivalité entre restaurants, ils pouvaient très bien avoir affaire à la revanche d'un employé commun. Les deux salles avaient été vidées suite à l'épidémie, plus aucun client ne venait déjeuner à ces enseignes à cause de l'intoxication alimentaire déclarée, or ne serait-ce tout simplement cela que recherchait leur coupable ? Certes, il pouvait encore s'agir du propriétaire d'une plus petite enseigne qui n'ait pas encore été affectée par les récents évènements, mais les soupçons de la kunoichi ne purent que s'intensifier lorsque le propriétaire acquiesça et lui fournit le nom d'un homme qui était venu postuler comme assistant commis. Un jeune homme, près de la trentaine, la boule à zéro avec un menton autoritaire et des yeux d'une couleur plus verte que brune. Il avait travaillé pour le restaurant une semaine avant d'être mis à la porte, car bien que compétent, il favorisait ses "expériences culinaires" à la vraie cuisine et aux vrais plats qu'ils servaient en ces lieux. Il était parti sans faire d'histoire, à toute évidence, et n'était jamais revenu.

Le propriétaire ajouta d'ailleurs un "Tant mieux !" qui intensifia un peu plus la curiosité brûlante de l'Iwajin. Sans qu'elle n'ait à demander l'origine d'une telle réaction, celui-ci leur avoua que le petit avait de l'idée, mais pas beaucoup de sens pour la cuisine. De la semaine où il travaillait pour lui, il avait essayé d'améliorer sa spécialité avec toutes sortes d'ingrédients loufoques, histoire de relever le goût, comme il le disait lui-même. Il n'y était jamais parvenu, alors que le lendemain-même de son départ son supérieur était parvenu à stabiliser sa préparation et à la présenter à la carte. Seulement à la fin de son récit, Kyoku le remercia et elle les congédia, elle et son coéquipier.

"Si ce commis s'est également présenté à l'autre restaurant, alors nous avons une piste plus que tangible, Akamatsu. Il ne nous resterait plus qu'à trouver ses motivations principales, et nous pourrions dès lors nous mettre à la recherche de cet homme."

A cette affirmation, la chuunin sourit gauchement, gênée par sa propre assurance.

"Bien entendu… on devrait considérer cela comme une simple hypothèse, à faute de ne posséder d'autres pistes…"

Bientôt, le troisième membre de leur équipe les rejoignit à la devanture du restaurant. Leur demandant des nouvelles, Kyoku se chargea de l'informer des nouvelles qui leur avaient été données.

"Nous devrions retourner à la première enseigne et nous assurer que ce commis se soit bien présenté là-bas à un moment ou à un autre. Pour le moment, c'est tout ce que nous avons : les deux restaurateurs ont des fournisseurs différents et nous ne pouvons nous reposer que sur ça... pour l'instant."

Plus le temps passé en compagnie de son équipier s'allongeait, plus Kyoku s'étonnait du nombre de choses et de personnes qu'il croisait, qu'il rencontrait, qu'il repérait, à croire que ses yeux avaient été conçu pour servir de radar à toutes les quêtes qui tombaient sous leur charge. Une machine à apercevoir, des yeux et rien d'autre, si l'on suivait la logique des choses. Mais la logique, qu'avait-elle à s'immiscer dans tous les sujets de conversation, ne pouvaient-ils l'oublier un moment et simplement se dire qu'il jouait de chance de temps en temps.

Probablement que non. La kunoichi ne connaissait pas la chance et se pensait assez maline que pour ne pas y croire. Cependant, elle se surprenait elle-même à l'implorer dans les situations les plus désespérées, même une infime seconde. Une infirme seconde durant laquelle la chuunin y croyait et s'abandonnait à des croyances aussi stupides que celle-ci. La croyance en Dieu par exemple. Futile et inutile, à l'exemple de ces dieux soi-disant protecteurs.

En considérant ces derniers dires, dans ce cas, comment devaient-ils considérer la nouvelle d'Akamatsu, le fait qu'il ait aperçu un individu concordant à la description énoncée par le deuxième restaurateur devant la devanture du premier restaurant qu'ils avaient visité. Si ce n'était de la chance, qu'était-ce ? Son coéquipier ne pouvait être un androïde après tout, il ne pouvait connaitre chaque habitant de ce village, ainsi que toute chose qui le meuble, d'un simple coup d'œil. C'était d'un ridicule risible que de seulement se le concevoir, à un tel point que Kyoku se surprit à rire intérieurement, se sentant profondément seule au sein du monde extérieur en étant accompagnée de son inexplicable euphorie. L'adolescente se racla brièvement la gorge, avalant dans son acte ce rire qui se coinçait à hauteur de sa glotte. Elle se contraignait à préserver un air neutre tandis que Barai énonçait tous les doutes qui lui traversaient l'esprit : visiblement lui non plus ne croyait pas plus qu'elle au don de la Providence.

En fait, son élève s'engageait sur une pente toute autre, pratiquement pessimiste en vue de ces arguments qu'il déballait telle une vérité qui enlèverait toute motivation à de jeunes aspirants en voie de progression. Si elle et Akamatsu coloraient un peu trop vite le tableau, Barai, en bon contrepoids, se plaisait à le ternir, comme pour éviter une éventuelle déception sans instaurer le traditionnel ménagement qui allait habituellement de paire. Soit. Kyoku le connaissait assez bien pour savoir que sa vision sombre des évènements s'estomperait petit à petit, son élève ayant la fâcheuse tendance à considérer le tableau à hauteur de son pied et à ne jamais daigner lever la tête pour observer plus attentivement la toile, à moins que quelqu'un vienne lui lever de bonne foie le menton. Une tendance à laquelle tous pouvaient s'accommoder mais qui ne restait pas moins ennuyante pour ceux qui ne le fréquentaient régulièrement. Même elle, au début de leur relation, manquait de lui infliger une ou deux gifles pour lui éclaircir les idées, excédée par son comportement un peu trop sombre.

Le temps faisait décidément du bon travail et ce fut donc sans plus de transition, sans plus de question ou d'interrogation, que la chuunin ouvrit la marche en direction du premier restaurant. Toujours aussi vide. Toujours aussi triste. Le propriétaire les accueillit pour la deuxième fois de la journée et cette fois Barai resta en arrière, elle eut donc l'occasion de l'aborder en premier. Comme elle l'eut fait pour le troisième membre de leur groupe, la kunoichi exposa la description du présumé coupable au gérant. Celui-ci acquiesçait de la tête, régulièrement, posément, avant d'annoncer au trio qu'il avait effectivement renvoyé un employé quatre jours plus tôt, insatisfait de son travail, et il s'avérait que l'individu dont il était question répondait aux critères énoncés par l'Iwajin. Une bonne nouvelle pour leur enquête. Une bonne nouvelle pour leur moral, bien qu'un peu moins pour son protégé qui se laissait blesser par la vérité qui démentait toutes ses suppositions.

Celui-ci passait ses mains derrière sa nuque, embarrassé et abasourdi par la simplicité dans laquelle baignait cette histoire de soupe empoisonné. Aussi, il reconnaissait son tort et offrait ses excuses à son sensei. Celle-ci tenta de le réconforter d'un sourire paisible, mais elle ne fut pas certaine qu'il l'aperçut. Cela faisait en effet bien longtemps qu'elle ne tenait plus compte de son pessimisme et de l'impact de celui-ci sur ses présomptions. Barai était inaltérable et Kyoku ne le souhaitait pas autrement. Elle l'appréciait tel qu'il était, il n'avait de ce fait aucune excuse à lui fournir.

Se plaisant néanmoins dans son silence et parce que le temps n'était plus à la discussion, ce fut sans un mot que la chuunin suivit l'élan du groupe et aborda l'immeuble dans lequel vivait l'homme qui animait toutes leurs pensées, les siennes en tout cas. L'illusionniste frappa une fois, deux fois à la porte, et ils eurent beau annoncer leur présence, aucune voix ne daigna leur répondre. Frustrée dans le fond par ce mystérieux silence, la jeune fille fronça les sourcils jusqu'à briser l'harmonie qui régissait sur sa figure depuis qu'ils avaient appris l'existence de cet homme, qui ne souhaitait lui se manifester. Voulant assené un nouveau coup à la porte, la kunoichi constata rapidement que le comportement de l'individu ne froissait pas que ses pauvres nerfs, mais également ceux de Barai qui affirmait d'une voix fort convaincante que l'excuse de l'intoxication alimentaire ne fonctionnait pas avec lui et silencieusement qu'il risquait de défoncer la porte à tout instant. Porte qu'il finit par ouvrir par ses propres moyens, de toute façon, ajoutant d'un air ironique que l'accès était libre. Alors seulement Kyoku souffla d'épuisement, épuisement plus mental que physique, le prénom de son élève au bord des lèvres, comme pour lui faire comprendre que son agacement lui était intimement destiné.

Sans plus attendre - ayant tant et déjà patienté à l'extérieur - les trois shinobis pénétrèrent l'appartement, et quelle fut leur surprise, leur stupeur lorsque leur apparut le cadavre de celui qu'ils étaient venus interroger. L'appartement était gris. Les tentures épaisses. Au milieu du désordre commis, une marre rouge d'hémoglobine. Le corps s'y noyait en une effrayante quiétude.

Kyoku demeura bouche ouverte et ne s'en cachait pas. Happée par derrière, son sang-froid venait de s'évaporer et son visage blêmissait. Leur mission prenait une tournure qui la décontenançait et la déstabilisait plus qu'elle ne le devrait. Elle secoua énergiquement la tête, une main sur son front, ses doigts dans sa frange. A quoi bon se vanter d'être chuunin si l'on s'avérait plus sensible psychologiquement qu'un simple débutant ? L'adolescente épia brièvement ses équipiers, Barai fouillait le corps sans ciller, d'une immuabilité qui ne cessait de l'impressionner. L'Iwajin ne s'y attarda pas et entreprit de détailler le désordre occasionné : soit la bataille avait été violente, même très violente, soit l'assassin cherchait quelque chose lors de sa visite et avait créé tout ce désordre de son plein gré. Quelque chose mais quoi ? Pour le moment, la jeune fille ne possédait aucune piste et, surtout, aucune certitude. Taisant de ce fait ses présomptions et ses idées mal conçues, elle prêta l'oreille aux nouvelles annonces de son élève : à toute évidence il avait trouvé de quoi les faire avancer dans leur enquête, lui lançant agilement de son pouce une pièce dont l'intervention attira irrémédiablement l'attention de son maitre. Celle-ci l'inspecta sous toutes ses formes. Un malheureux ryō qui trouvait ses origines au cœur du village marchand se réfugiant dans les secrets des rocheuses avoisinantes.

A la proposition de son élève, Kyoku sourit timidement, plus à cause de la forme que de la proposition en elle-même. Le rouge au bord de ses joues, il ne s'en avérait pas le fautif. Il ne connaissait pas les longs méandres sentimentaux qu'elle traversait depuis ces dernières années, et peut-être valait-il mieux ainsi. De nature plutôt protectrice et à manquer de retenue quand il s'agissait des malheurs de la jeune fille, ce jeune homme dont elle s'était avéré la sauveuse pourrait bien causer plus de tort que de bien dans ses petites affaires, et rendre plus compliquées encore qu'elles ne l'étaient déjà ces fameuses histoires n'arrangeait pas le moins du monde la kunoichi qui, pour ne pas paraitre grossière, répondit d'une voix calme et détendue :

"Pour une fois que tu m'évoques l'un de tes rêves, Barai, je ne vais pas te le refuser."

Encline à se prêter au jeu malgré tous ces mauvais remous qui malmenaient son estomac, la chuunin fit part d'un clin d'œil à son interlocuteur et serra davantage la pièce au creux de sa main. Jamais auparavant elle n'avait eu l'occasion de visiter cette magnifique ville marchande et ce n'allait pas être un peu de sang et un oxygène saturé en sentiment de vengeance qui allaient gâcher son enthousiasme. Néanmoins, se devaient-ils de garder les deux pieds sur terre et l'objectif de leur mission bien en tête : celui qui avait tué le commis possédait des raisons qu'ils méconnaissaient et auxquelles donc ils devraient prendre garde, pour ne plus être surpris et être déstabilisé une seconde fois.

D'instinct, Kyoku posa un regard inquisiteur sur Akamatsu, assené de questions par Barai qui paraissait encore un peu sarcastique à son égard. Toutefois, elle devait lui concéder certaines évocations, comme le fait que son coéquipier possède beaucoup de relations et ait visité plus d'endroits qu'elle ne pouvait en citer. Enfin, d'après elle. L'Iwajin ne connaissait pas aussi bien qu'elle le souhaitait son condisciple, à faute de temps, comme elle se plaisait à dire. Cette situation vis-à-vis de ce dernier lui déplaisait et elle espérait sincèrement y remédier à l'avenir. Juste pour avoir le plaisir, un jour, d'annoncer que oui, tout à fait, elle connaissait son coéquipier mieux que quiconque, et personne ne pourrait la contredire.

Son besoin de reconnaissance contenté, la chuunin annonça la suite des opérations : sans tarder, ils devaient se rendre au village marchand et attraper les premières pistes qui leur tomberaient sous la main. Les allées et venues au sein de ce genre de cité étaient nombreux, trop nombreux pour qu'ils se permettent d'en négliger ne cesse qu'un seul. Ils méconnaissaient après tout l'identité de leur assassin et, cette fois, ils n'avaient aucun mobile à exposer. C'était équivalent à reprendre leur enquête depuis le départ, à moins que…

"Cet homicide a peut-être encore un lien avec cette fameuse soupe qui intoxique la majeur partie du village. Le mieux serait encore d'interroger les marchands qui se trouvent là-bas, ou du moins les résidents, et de prendre connaissance de l'identité de ceux qui pourraient avoir sorti une quantité de soupe assez conséquente que pour fournir deux grands restaurants. Je crois savoir que les ragots font vite leur chemin dans ce genre de rues, alors nous n'aurons probablement aucun mal à en tirer quelque chose."

Probablement. Un mot de trop, mais de nécessité. Une précision, qui mettait à mal les soupçons de pas mal de shinobis, y compris les siens. Sa bouche se tordit, victime de tout le déluge de confusion qui s'abattait sur son esprit, qui lui ne se convenait pas à déléguer la charge à d'autres. Il fallait qu'il décèle l'issue. Ne cesse qu'une voie qui pourrait les y mener. L'illusionniste ne parvenait à garder une position statique à cause de ces effusions intérieurs et décida inéluctablement de partir de l'appartement pour prêter le pas en direction du village de Take.

Essentiellement préoccupée par la mission en cours, Kyoku ne prêtait pas attention aux dires et aux faits qui se manifestaient tout autour d'elle durant la majeur partie du trajet. Les yeux perdus dans le vague, une expression sévère se faisant empreinte à sa face, elle cherchait à connaitre les secrets de la terre, des hommes qui la retournaient et de cet horizon qui n'en finissait. Les questions ne lui manquaient pas au sujet de leur mission, de ce mystérieux individu qui avait abattu leur sujet, et de ce sujet en question. Mais si les questions ne manquaient pas, la kunoichi manquait par contre cruellement de réponses et ce manque la torturait plus encore que le bruit de l'orage lors des pires tempêtes qu'eut à endurer Iwa.

Dans l'un de ses élans d'inspiration, l'adolescente se mit à réfléchir tout haut, à marmonner sans laisser un mot à ses équipiers, jusqu'à qu'elle réalise ses agissements. Imperceptiblement, ses pupilles se rétractèrent et se portèrent à hauteur de ces deux genins qui la dépassaient d'au moins une tête chacun. Le comble pour la kunoichi qui se devait la plus haute gradée et qui se sentait affreusement petite à côté de ces deux shinobis qui faisaient route à ses côtés. Elle porta inconsciemment une main à son épaule, l'une de ses brûlures la relançait.

"Je ne sais pas vous, mais j'ai l'impression de vaguement tourner en rond" dit-elle à l'adresse de ses deux équipiers. "Dès que nous obtenons une piste, nous sommes guidés ailleurs et je n'aime pas forcément être manipulée de la sorte. Je n'aime pas du tout même. Alors… j'espère sincèrement que Take est notre dernière destination, vous comprenez ?"

Il leur fallait arrêter le méfait là-bas. Là-bas et nulle part ailleurs. Hors de question de laisser leur coupable leur filer entre les doigts. Pas à nouveau, ce serait signer la mort des pauvres nerfs de la kunoichi à peine sortie de convalescence.

Kyoku était prête à tous les efforts pour cesser de torturer ses pauvres méninges. A force de réfléchir, elle ne savait plus trop où donner de la tête, et malheureusement la vengeance n'était pas une histoire simple et ne lui procurerait pas le repos dont elle avait besoin. Alors probablement irait-elle jusqu'à demander les services de Makai pour pister leur coupable. Peut-être envisagerait-elle d'utiliser des techniques d'illusion qu'elle ne devrait pas utiliser en temps habituel pour ce genre de tâche et dans son état. Peut-être, sûrement, probablement. Tant de nuances et si peu de réponses, alors que leur voyage touchait doucement à sa fin.

L'adolescente priait la chance.

L'autre. L'autre en général. Les shinobis se partagaient sans cesse à cause de lui, de son importance et de sa valeur lors d'une mission, d'un entrainement ou encore lors de la vie de tous les jours, la vie courante. Certains le dénigraient, certains le prônaient, d'autres encore préféraient l'ignorer. Il était sujet de tant de polémique qu'il lui serait impossible de les énumérer, il créait tant de divergences, autant entre les différentes équipes qu'entre les multiples villages qui composaient la communauté shinobi. Soit valorisé, soit mis de côté. L'autre, l'avis d'autrui, sa présence. Tout cela, oui, procréait encore beaucoup trop de divergences.

Kyoku avait déjà rencontré nombreux shinobis affirmant l'inutilité d'un équipier durant une mission. Il s'avérait plus un poids qu'un soutien sur lequel s'appuyer, disaient-ils tous, eux qui étaient de ce même avis, et parfois vaudrait-il mieux s'en débarrasser, le laisser dans un coin et revenir plus tard une fois la mission accomplie. Une pensée à la fois condescendante mais si pertinente en soi. Il serait après tout si facile d'abandonner un poids mort sur son chemin et de le récupérer un peu plus tard, l'air de rien. Et justement, ce serait beaucoup trop facile.

Durant longtemps, la kunoichi avait été victime de ce jeu sournois, d'équipiers qui la déconsidéraient et la prenaient de haut, qui lui disaient petite assieds-toi là, et regarde plutôt comment s'y prennent les vrais hommes d'Iwa. Sauf qu'elle n'était pas un homme et ils étaient idiots pour ne pas le voir. Ou plutôt si, justement, ils étaient tellement idiots qu'ils ne voyaient que cela, sa corpulence féminine et son incapacité à porter trois fois son poids du bout du bras. Ils la jugeaient rapidement à cause de sa petite taille, ces hommes-là, et quand ce n'était pas le cas ils prenaient en considération sa vitesse, parce qu'il fallait courir très vite et qu'au bout d'un moment ses jambes ne daignaient plus supporter le rythme. Trop lourd. Beaucoup trop même. A croire qu'ils voulaient réellement la semer et l'abandonner sur la route. Ils reviendraient plus tard, l'air de rien. C'était vraiment trop facile.

Ces gens-là ne voyaient pas, pas sous le bon angle. Ils ne prenaient en compte que les faiblesses, les déficits, ce qui n'allait pas, et pourquoi ? Jalousie, toujours et encore, ou peut-être une revanche qu'ils devaient au passé, probablement. Ayant subi, ils deviennent à leur tour. Persécutés ils avaient été, persécuteurs ils étaient devenus. Infâme logique. La plus courante malheureusement. Et puis, s'il ne s'agissait de cela, il était question d'un mal de reconnaissance. Il me ralentit, à quoi bon l'emmener plus loin, après tout il ne me sert à rien. Logique d'autant plus ignoble, surtout si celle-ci parvenait à avoir une quelque répercussion sur leur situation durant cette guerre contre l'Akatsuki. Ce serait horrible, effroyable, bien au-delà des mots et des phrases, même le silence n'en serait pas assez représentatif. Car délaisser un compagnon à la guerre, sur les champs de bataille, ce ne serait pas pour le récupérer plus tard. Non et le pire, c'était qu'ils le savaient…

Ces gens-là ignoraient, ignoraient ô combien un compagnon, un équipier pouvait s'avérer utile. Même si au premier coup d'œil il n'y paraissait, ne remplissait pas toutes les conditions, plus tard - juste un peu plus tard, il suffisait d'attendre un peu - il n'était pas difficile de réaliser à quel point il comptait. Quel que soit le domaine dans lequel il excellait, quels que soient ses talents, il apporterait sa pierre à l'édifice. Chacun possédait au moins une qualité utile à l'autre, à l'inconnu, à celui que l'on rencontrait pour la première fois et auquel on tendait la main et on disait je suis là. C'était logique. Aussi logique que. Et pourtant. Fallait-il admettre une bonne fois pour toutes que l'homme moyen préférait prendre des risques et ne compter que sur ses propres moyens, au lieu de se laisser surprendre et d'augmenter ainsi un tant soit peu ses chances de survie.

Heureusement, la chuunin avait conscience de ce point, du soutien que pouvaient lui apporter les deux genins, malgré leurs faiblesses respectives, et de l'éclaircie qu'ils pouvaient apporter à ses idées sombres. De ce fait, jamais elle ne viendrait à les abandonner, jamais cette idée même ne viendrait à lui traverser l'esprit, aussi bien dans le sens littéral que moral. Idée à omettre, à oublier, à brûler, à détruire, quels que soient les moyens, elle ne voulait pas en entendre parler. Car si chacun détenait un détail, un défaut qui parfois la mettait à mal, Kyoku n'oubliait pas, n'oublierait jamais qu'eux aussi l'acceptaient telle qu'elle était, avec ses défauts, ses innombrables défauts, qui risquaient à nouveau de les mettre en déroute tous les trois.

En effet, ce n'était pas pour une quelque qualité de meneuse que ses équipiers l'avaient acceptée comme telle, mais plutôt à défaut de rang équivalent ou encore plus haut gradé. Si cela n'avait tenu qu'à elle, en omission sa bonne conscience et sa soif avérée de découverte, l'Iwajin aurait gentiment décliné la proposition. Elle ne s'était jamais sentie les épaules d'un chef après tout, peut-être à faute d'expérience, de manque de confiance, personne ne saurait le dire. De plus, son esprit n'était pas assez clair pour traiter différentes informations en même temps et les interpréter correctement sans commettre un quelque détour. En fait, la kunoichi d'Iwa était plutôt connue pour son manque de concision et de simplicité. Un défaut plutôt embarrassant quand il était question d'une histoire de soupe et d'intoxication pour laquelle il leur fallait emprunter les routes les moins sinueuses, au possible, ce qui se révélait complètement impossible pour la jeune fille. Ce fut de ce fait avec un soulagement immense que Kyoku accueillit l'avis de son élève, qui, après plusieurs minutes de silence, osa enfin se manifester.

Le raisonnement dont il leur fit part tombait tellement sous le sens que la chuunin s'en voulut à un point jamais exploré jusqu'à lors de ne pas en avoir aperçu un instant l'ombre. A force de chercher midi à quatorze heures, les idées les plus sottes de son point de vue, mais qui se révélaient en réalité les plus plausibles, lui passaient complètement sous le nez, lui échappaient des mains, et elle ne pensait jamais à les exploiter un seul instant. Kyoku continuait d'écouter et se maudissait encore. A quoi bon chercher des exceptions, encore et toujours des exceptions, des si et des ça qui tendaient davantage à la confusion qu'à la rédemption, alors que les réponses les plus vraisemblables se situaient à portée de main et qu'il suffisait de les saisir, à la place de les dédaigner comme elle s'évertuait tant et encore à le faire. La kunoichi jouait d'un dédain envers la simplicité qu'elle devrait en tant normal ne pas se permettre. Ce n'était pas de son niveau après tout, et elle se croyait déjà dans la cour des grands. Un soupir accompagna ces pensées. Migraine, que de migraine…

Inconsciemment, avant même d'évoquer son approbation de voix audible, la chuunin acquiesçait du chef à l'intention du jeune homme à sa proximité. Partir enquêter du côté des restaurateurs de Take leur permettrait effectivement de connaitre les motivations exactes de leur ennemi toujours inconnu et peut-être même celles qui auraient contraint ce dernier à éliminer le commis retrouvé mort chez lui.

"Tes suspicions me plaisent beaucoup, Barai. Moi qui aies tendance à parfois trop réfléchir, je dois avouer que… tu pourrais nous avoir pas mal sauver la mise. Et je pense en effet que cette thèse nous aiderait énormément dans nos recherches."

Cela signifiait également revenir à leur première hypothèse, celle qui tendrait à nuire à Iwa et à l'ensemble des shinobis y vivant. Une perspective qui ne l'arrangeait pas le moins du monde et qui la mena à expier un dernier soupir.

Bientôt, le trio d'Iwa atteignit sans encombre les frontières du village marchand visé. Un village d'apparence tranquille mais dont ils percevaient déjà de l'extérieur les différentes activités internes. Un village vivant, que l'on appelait cela, qui ne manquait de vie, d'enthousiasme, mais qui malheureusement abritait quelques personnes malsaines et aussi dérangées que les individus qui souhaitaient plonger leur monde dans une illusion éternelle. Un fantasme d'illusionnistes, bien entendu, et Kyoku ne pouvait de ce fait ne pas s'y intéresser un minimum. Toutefois, un Genjutsu restait un Genjutsu, et l'Akatsuki demeurerait à jamais l'Akatsuki, et un Genjutsu éternel créé par l'Akatsuki, elle ne pouvait non plus ne pas s'en inquiéter, comme elle ne pouvait ne pas s'inquiéter de l'état mental de leur empoisonneur de soupe.

"Il n'y a pas qu'une seule grosse restauration dans ce village, et ça nous prendrait beaucoup trop de temps de les inspecter une à une ensemble…" songea Kyoku à voix haute, tandis qu'ils s'apprêtaient à investir le village. "Il va nous falloir nous répartir la tâche."

La kunoichi ne se sentait pas aussi enjouée que ses équipiers, elle s'imprégnait même d'un sérieux auquel elle n'avait habitué ni l'un ni l'autre. D'humeur habituellement plutôt énergique, cette mission ne cessait de nuire à son moral : de la simple intoxication ils étaient passés à une soi-disant histoire de vengeance, puis de la ridicule histoire de vengeance ils étaient arrivés à un homicide, et doucement ils dérivaient sur un complot visant soit à mettre hors service tous les shinobis d'Iwa, soit l'intégralité du pays, et qu'ils prient pour que ce soit la première alternative. Sinon, Kyoku ignorait ce qu'ils devraient faire pour remédier à leur problème de soupe.

Définitivement, elle souhaitait que leur coupable se trouve en ces murs. Qu'ils en finissent et qu'enfin ils n'en parlent plus; cette histoire la turlupinait tellement que sa hâte de découvrir le village préféré des romantiques ne l'attrayait même plus, son esprit accordé exclusivement à cette monnaie qu'entre deux doigts elle essayait de percer de son regard, afin d'en découvrir tous les secrets.

"Nous allons nous séparer à travers le village afin d'inspecter les différents centres de restauration." trancha la chuunin qui fermait un œil pour se rappeler avec exactitude le dessin de la carte qu'elle avait tenue en mains quelques minutes plus tôt. Son état pensif força les traits de son visage à se sévir davantage. "Akamatsu, tu es sûrement le plus rapide d'entre nous, alors tu vas te charger du restaurant qui se trouve de l'autre extrémité de Take. Je vais me charger d'enquêter sur la place principale. Quant à toi, Barai, il y a une suite de deux petits restaurateurs qui forment un tout à l'Est, également à proximité de la place, sans trop s'éloigner du côté de la frontière. De mon point de vue, tu sauras t'en charger."

Kyoku repassa mentalement ses indications au peigne fin afin d'avoir la certitude de n'avoir rien oublié. Elle accorda un bref regard à son élève dans son introspection.

"Nous allons suivre ton schéma et nous retrouver dans environ vingt minutes devant la suite des deux restaurateurs dont tu vas t'occuper. Pour faire le point." un bref coup d'œil à Akamatsu. "C'est compris ? Bon…" Long soupir. Apparemment, ce n'était pas le dernier.

Engageant sans autre mot d'ordre le pas en direction de la fausse tranquillité de Take, Kyoku finit par se rendre compte que, en effet, elle avait oublié quelque chose dans la précipitation. Non seulement le fait qu'elle ait sa main collée à son épaule depuis un peu plus d'un quart d'heure, mais également une appellation qui faisait naitre, imperceptiblement, un sourire incroyablement hypocrite sur ses lèvres. Un regard l'accompagnait, décoré d'une fourbe couleur bleue.

"Au fait, Barai. Je te prierai de ne pas me vieillir avant l'âge, nous n'avons qu'un an d'écart."

Sur ces mots, la kunoichi du trio partit remplir sa part du travail, se faufilant, non sans en accrocher, parmi les quelques passants qui piétinaient sans vergogne les rues en pavés. Bientôt, dans son champ de vision, la place principale de Take, sa prochaine destination. Destination plus encombrée encore que le hall des missions aux heures de service, mais d'une étonnante quiétude à s'y heurter au premier tournant. D'ailleurs le prochain la conduirait à l'enseigne qu'elle recherchait du regard, celle-ci malheureusement perdue dans un véritable océan d'écriteaux et d'écussons. Hôtels, cliniques et autres. Pour une fois, Kyoku aurait voulu savoir son élève en tort.

Après une rapide demande de renseignement, autant auprès d'un quelque passant pour connaitre la localisation du restaurant convoité, autant auprès du gérant de ce dernier sur la situation, pourtant évidente, de son affaire, l'illusionniste réussit enfin à s'extirper de l'atmosphère oppressante des centres de restauration à l'heure du repas. Les coups de coudes égarés et la mégarde d'autres n'avaient en effet pas arrangé les légères douleurs qui brûlaient à la surface de sa peau. Une drôle de sensation, elle qui pourtant pensait avoir dépassé ce stade. Au moins, la kunoichi eut l'audace de ressortir du commerce le sourire aux lèvres et la satisfaction pleine. Enfin de bonnes nouvelles ! Il ne lui restait plus qu'à espérer que ses coéquipiers, eux aussi, aient reçu des rapports positifs des restaurateurs et que les commerces qu'ils aient visités ne soient non plus en voie de faillite.

La lune était pleine, là-haut, tout là-haut, et elle n'attendait plus que les étoiles. Les chaudes couleurs de la soirée la camouflaient encore et la préservaient des briseurs de rêve. Mais Kyoku savait ce voile temporaire, que tout comme la joie qui secouait son corps, il ne serait qu'éphémère. Comme tout ce qui existait de beau dans leur monde, à une exception près…

Dans sa soudaine hâte de vouloir retrouver ses équipiers, plus rapides qu'elle ne l'eut imaginé d'ailleurs, la chuunin s'emmêla les pieds et ce fut in extremis qu'elle stoppa l'élan de sa chute, s'accrochant désespérément à l'angle d'une façade. Légèrement essoufflée, elle plaça une main sur son cœur. Enième soupir. Définitivement, cette journée n'en finissait plus.

"Alors ?"